Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/302

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Mon mari y consentit très volontiers, et les premiers temps m’accompagnait avec un plaisir évident, se réjouissant de mes succès et paraissant oublier tout à fait, ou renier ce qu’il avait dit auparavant.

Dans la suite il commença à s’ennuyer visiblement de la vie que nous menions. Mais cela m’importait peu. Si même je remarquais son regard attentif et sérieux, fixé interrogativement sur moi, je n’en comprenais pas le sens. J’étais étourdie de cet amour qu’inopinément j’excitais, comme il me semblait, chez tous ceux qui me voyaient, de cette atmosphère d’élégance, de plaisir, de nouveauté que je respirais ici pour la première fois. Tout d’un coup aussi disparaissait son influence sur moi qui me déprimait ; il m’était si agréable, non seulement de m’égaler à lui dans ce monde, mais de me placer plus haut que lui et par là même de l’aimer davantage et d’une manière plus indépendante, que je ne parvenais pas à comprendre ce qu’il pouvait trouver de fâcheux pour moi dans la vie mondaine. J’éprouvais un sentiment nouveau pour moi, sentiment d’orgueil et de satisfaction de moi-même, quand, entrant au bal, tous les yeux se fixaient sur moi, et que lui, ayant honte de s’avouer devant tous mon possesseur, se hâtait de me laisser et se perdait dans la foule noire des habits. « Attends ! — pensais-je souvent en cherchant des yeux, au bout de la salle, sa personne inaperçue, et