Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/303

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parfois ennuyée, — attends ! nous viendrons à la maison et tu comprendras et tu verras pour qui j’ai voulu être belle et brillante, et qui j’aime parmi tous ceux qui m’entouraient ce soir ». Je croyais franchement que mes succès ne me réjouissaient que pour les lui sacrifier. La seule chose en quoi pouvait m’être nuisible la vie mondaine, c’était pensais-je, la possibilité de me laisser entraîner par un des hommes que je rencontrais dans le monde, et la jalousie de mon mari. Mais il avait tant de confiance en moi, il semblait si calme et si indifférent, tous ces jeunes gens me semblaient si au-dessous de lui, que le seul danger que j’avais craint du monde ne me parut pas terrible. Mais cependant, l’attention de beaucoup de personnes me faisait plaisir, flattait mon amour-propre, me faisait penser qu’il y avait un certain mérite dans mon amour pour mon mari, et rendait ma conduite envers lui plus hardie et un peu plus négligente.

— Et moi, j’ai remarqué que tu as causé avec trop d’animation à madame N N…, — lui dis-je un jour, en revenant du bal, en le menaçant du doigt ; je nommai une dame très connue à Pétersbourg, avec qui, en effet, il avait causé cette soirée. Je disais cela pour le remuer un peu ; il était particulièrement triste et ennuyé.

— Ah ! pourquoi dis-tu cela ? Tu dis parfois des choses, Macha ! — prononça-t-il les dents serrées