Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/325

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firent entendre de l’autre côté. Ils descendirent l’escalier et après quelques minutes débouchèrent par la porte latérale, très étonnés en nous apercevant. Je rougis quand le marquis D… s’approcha de moi, et il me devint horrible de le voir, sortant du château, me tendre la main.

Je ne pouvais la lui refuser, et derrière L.-M…, qui marchait avec son ami, je m’approchai de la voiture. J’étais offensée de ce qu’avait dit de moi le Français, bien qu’au fond il n’eût fait que dire ce que je sentais moi-même. Mais les paroles du marquis m’étonnaient et me révoltaient par leur grossièreté. L’idée que j’avais entendu ses paroles et que, malgré cela, il n’avait pas peur de moi, me tourmentait ; j’étais honteuse de le sentir si près de moi et, sans le regarder, sans lui répondre, en tâchant, pour ne pas l’entendre, d’abriter mon oreille avec ma main, je marchais rapidement derrière L.-M… et le Français.

Le marquis parlait du beau paysage, du bonheur inattendu de sa rencontre avec moi, etc., mais je ne l’écoutais pas. Je pensais alors à mon mari, à mon fils, à la Russie ; j’avais honte, je regrettais, désirais quelque chose, et me hâtais vers la maison, dans ma chambre, à l’hôtel de Bade, pour réfléchir en liberté à tout ce qui venait de s’éveiller en mon âme. Mais L.-M… marchait lentement jusqu’à la voiture, qui était encore loin ; mon cavalier, comme il me semblait, systématiquement, ralentissait le