Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/327

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chose. Tout cela ne dura qu’un instant, mais cet instant était terrible. Je le voyais tout en ce moment, je comprenais si bien son visage : ce front dur et bas, semblable au front de mon mari, qui se voyait en-dessous du chapeau de paille, ce joli nez droit aux narines dilatées, ses longues moustaches et sa barbiche pommadées, ses joues rasées, son cou bruni : je le haïssais et le craignais tant ; il m’était étranger, mais, en ce moment, la passion et l’émotion de cet homme étranger que je haïssais se reflétaient tellement en moi, je voulais tellement m’abandonner aux baisers de cette bouche jolie et bestiale, aux enlacements de ces mains blanches, fines, veinées, ornées de bagues, j’étais tellement entraînée, si éperdue devant l’abîme qui tout à coup s’ouvrait devant moi et m’attirait, devant l’abîme des joies défendues !… « Je suis si malheureuse, pensais-je, que les malheurs s’accumulent donc sur ma tête ! »

Il m’enlaça d’un bras et se pencha vers mon visage. « Soit, soit : qu’il y ait encore plus de honte et de fautes sur ma tête ! »

Je vous aime ! — murmura la voix qui ressemblait tant à celle de mon mari.

Mon mari et mon enfant s’évoquèrent comme des êtres chers depuis longtemps et avec qui tout était fini pour moi. Mais, tout à coup, la voix de L.-M… qui m’appelait s’entendit derrière le tournant. Je me ressaisis : j’arrachai mon bras et,