Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol6.djvu/51

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femme m’a dit qu’il était devenu un tout autre homme. Et comment veux-tu que je le punisse maintenant qu’il s’est amendé ? N’est-ce pas affreux d’enrôler un homme qui a cinq enfants et qui est seul à les faire vivre ? Non, ne m’en parle pas, cela vaudra mieux…

Et la dame but quelques gorgées.

Egor Mikhaïlovitch suivit le passage du liquide dans la gorge, et ensuite objecta brièvement et froidement :

— Alors vous ordonnez d’envoyer Doutlov !

La dame frappa des mains.

— Mais pourquoi ne peux-tu pas me comprendre ? Est-ce que je désire le malheur des Doutlov ? Ai-je quelque chose contre eux ? Dieu m’est témoin que je suis prête à faire tout pour eux. (Elle regardait le tableau dans le coin mais se souvint que ce n’était pas l’image de Dieu.) Ça ne fait rien, il ne s’agit pas de cela pensa-t-elle. (C’était étrange que cette fois encore elle ne songeât pas aux trois cents roubles). Mais qu’y puis-je faire ? Sais-je quoi ? comment ? Je ne puis le savoir. Eh bien, je m’en rapporte à toi, tu sais ce que je veux. Fais en sorte que tous soient satisfaits ; que ce soit équitable. Que faire ? Ils ne sont pas les seuls, tous ont des moments pénibles. Mais on ne peut envoyer Polikeï. Comprends donc que ce serait affreux de ma part !

Elle eût parlé encore longtemps, tant elle était