Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol7.djvu/425

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nemis de le tuer, lui semblait impossible. « Est-ce vraiment pour tuer ! » Il resta debout plus de dix secondes sans se mouvoir et ne comprenant pas sa situation. Le Français au nez aquilin, le premier, était si près qu’on distinguait déjà l’expression de son visage. Et la physionomie enflammée, étrangère, de cet homme qui, baïonnette en avant, retenant sa respiration, courait vers lui agilement, effraya Rostov. Il sortit son pistolet et au lieu de tirer, il le jeta sur le Français et de toutes ses forces courut vers les buissons. Il ne courait pas avec ce sentiment de doute et de lutte qu’il éprouvait sur le pont de l’Enns, mais avec celui du lièvre qui fuit les chiens. Un sentiment invincible de peur pour sa vie, jeune, heureuse, emplissait tout son être ; en bondissant à travers le fourré, avec la rapidité de jadis quand il courait au jeu de gorielki, il volait sur le champ, rarement retournait son visage pâle, bon, jeune, et un frisson d’horreur courait dans son dos. « Non, il vaut mieux ne pas regarder, » pensa-t-il ; mais arrivé près du buisson, il se tourna encore une fois. Les Français perdaient de la distance, et même au moment où Rostov se retourna, celui qui était en avant changeait le trot pour le pas et se tournant à son tour criait très-haut quelque chose aux camarades qui le suivaient. Rostov s’arrêta. « Non, ce n’est pas cela, pensa-t-il, ce n’est pas possible qu’ils veuillent me tuer. » Et tout le temps son