Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol7.djvu/67

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tu ne seras plus qu’un vieillard bon à rien… autrement tout ce qu’il y a en toi de bon et de noble périra ; tout se dépensera en petites choses. Oui, oui, oui ! Ne me regarde pas avec un tel étonnement. Si, dans l’avenir, tu attends quelque chose de toi, alors à chaque pas tu sentiras que tout est fini pour toi, que tout est fermé sauf le salon, où tu seras sur le même pied qu’un valet de cour et un imbécile… Oui, voilà !…

Il fit un geste énergique de la main.

Pierre ôta ses lunettes, ce qui changea son visage, qui parut encore plus plein de bonté, et, avec étonnement, il regarda son ami.

— Ma femme, — continua le prince André, — est une femme admirable. C’est une de ces rares femmes avec qui l’on est tranquille pour son honneur ; mais, mon Dieu, que ne donnerais-je pas maintenant pour n’être pas marié ! Tu es le premier, le seul à qui je dise cela, parce que je t’aime.

En prononçant ces paroles, le prince André ressemblait encore moins qu’auparavant à ce Bolkonskï qui se carrait dans un fauteuil chez Anna Pavlovna, et qui, en clignant des yeux, laissait passer entre les dents des phrases françaises. Son visage sec tremblait d’une animation nerveuse de chaque muscle ; les yeux, dans lesquels auparavant semblait éteint le feu de la vie, brillaient maintenant d’une lueur claire. Et plus il semblait