Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol8.djvu/109

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gris, avec un cliquetis, galopait à pas cadencés ; tantôt en s’alignant avec un bruit d’airain, les canons tremblaient sur leurs affûts polis, brillants, l’artillerie s’avançait entre l’infanterie et la cavalerie et s’installait sur les places qui lui étaient réservées. Non seulement les généraux en tenue de parade, les bustes minces et gros, tendus jusqu’à l’excès, les cous rouges serrés dans les collets, les écharpes et toutes les décorations, non seulement les officiers pommadés, élégants, mais chaque soldat, le visage lavé, frais, rasé, son uniforme brossé jusqu’au luisant, chaque cheval étrillé, le poil brillant comme de la soie, la crinière lissée poil à poil, tous sentaient qu’il se passait quelque chose de très important et de très solennel. Chaque général et chaque soldat sentait son propre néant, se reconnaissait un grain de poussière dans cette mer humaine, et, en même temps, avait conscience de sa puissance comme partie de cet énorme tout.

Dès la pointe du jour le branle-bas, les préparatifs étaient commencés et, à dix heures, tout était prêt. Les rangs se dressaient sur un immense espace. L’armée était disposée sur trois rangs : devant la cavalerie, derrière l’artillerie, et plus en arrière encore l’infanterie.

Entre chaque rang de troupes un passage était ménagé. Les trois parties de l’armée étaient nettement séparées l’une de l’autre : les troupes de guerre de Koutouzov (parmi lesquelles, dans la