Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol8.djvu/162

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et, sans s’arrêter, il allait de plus en plus loin, en se trompant sans cesse : prenant les buissons pour les arbres, les ravins pour des hommes, et en expliquant toujours ses méprises. Descendant la colline au trot, bientôt il ne voyait plus ni les feux des nôtres, ni ceux de l’ennemi, mais entendait plus hauts et plus distincts les cris des Français. Dans le creux, il aperçut devant lui quelque chose comme une rivière, mais quand il fut auprès, il reconnut la grand’route. En sautant sur la grand’route, indécis il retint sa monture : fallait-il suivre la route ou la traverser et continuer à travers les champs noirs, vers la colline opposée. Suivre la route qui éclairait dans le brouillard, c’était moins dangereux parce qu’on pouvait remarquer plus vite les hommes. « Suis-moi, » cria-t-il. Il coupa la route, et au galop s’engagea sur la colline, vers cet endroit où se tenait le soir, un piquet français.

— Votre Seigneurie ! Voilà ! — prononça derrière lui un des hussards, et Rostov n’avait pas encore aperçu quelque chose qui semblait noir dans le brouillard, que déjà brillait la flamme, craquait un coup et qu’une balle, comme en gémissant, sifflait haut dans le brouillard et disparaissait. L’autre coup ne partit pas, mais un éclair brilla. Rostov fit volte-face et retourna au galop. À divers intervalles, quatre coups éclatèrent, et sur des notes différentes les balles sifflaient dans le brouillard. Rostov retenait son cheval excité