Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol8.djvu/214

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« Encore cent pas et on est sauvé ; rester debout encore deux minutes et c’est la perte sûre, » pensait chacun.

Dolokhov, qui se trouvait au milieu de la foule, bondit vers le bout de la digue en renversant deux soldats, et courut sur la glace glissante qui couvrait l’étang.

— Tourne ! cria-t-il en courant sur la glace qui craquait sous lui. — Tourne !… cria-t-il en désignant le canon. — Ça tient ! La glace le portait, mais craquait et cédait. C’était évident qu’elle allait s’ouvrir non seulement sous le canon ou sous la foule, mais sous lui seul. On le regardait et l’on se serrait sur le bord, ne se décidant pas encore à monter sur la glace. Le commandant du régiment, qui était à cheval à l’entrée, levait la main et ouvrait la bouche en s’adressant à Dolokhov, mais tout-à-coup un boulet siffla si bas sur la foule que tous s’inclinèrent. Quelque chose tomba, frappant un corps mou, et le général et son cheval, tombaient dans une mare de sang. Personne ne regarda le général et personne ne le releva.

— Monte sur la glace ! — Va sur la glace ! — Marche ! — Tourne ! — N’entends-tu pas ? Va ! — vociférèrent tout-à-coup, après le boulet, de nombreuses voix qui ne savaient elles-mêmes ce qu’elles disaient. Un des canons de derrière, monté sur la digue, tourna sur la glace. Une foule de soldats se mit à courir de la digue sur l’étang glacé ! Sous un des