Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol8.djvu/359

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fatigué de la longue conversation, s’appuya de nouveau au dossier du divan et ferma les yeux. Pierre regardait ce visage sévère, immobile, sénile, presque éteint, puis, sans rien articuler, il remua les lèvres. Il voulait dire : « Oui c’est vrai, j’ai mené une vie lâche, oisive, dépravée ; » mais il n’osait pas rompre le silence.

Le maçon toussota, se secoua et appela son domestique.

— Eh bien, les chevaux ? demanda-t-il sans regarder Pierre.

— Ils sont arrivés, répondit le domestique. Vous ne vous reposez pas ?

— Non ; fais atteler.

— « Va-t-il partir et me laisser seul sans achever de dire tout, et sans me promettre aide ? » pensa Pierre en levant sa tête baissée ; et, jetant de temps à autre un regard sur le maçon, tout en marchant dans la chambre : « Oui, je n’y réfléchissais pas, oui j’ai mené une vie méprisable, débauchée ; mais je ne l’aimais pas, je ne la voulais pas. Mais cet homme connaît la vérité et, s’il voulait, il pourrait me la révéler. » Pierre voulait dire cela au maçon, mais il n’osait pas.

Le voyageur, de ses mains vieilles, expertes, après avoir fait ses malles, boutonnait sa pelisse. Quand tout fut près il se tourna vers Bezoukhov et, d’un ton indifférent, poli, lui dit :

— Où allez-vous maintenant, monsieur ?