Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol1.djvu/153

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parce que c’est un signe indiscutable de l’amour, j’éprouvais envers lui une crainte égale à mon amour. La première fois que Serioja s’adressa à moi, je fus tellement ému de ce bonheur inespéré, que je pâlis, rougis et ne pus rien répondre. Il avait encore la mauvaise habitude, quand il réfléchissait, de regarder fixement un point, en clignant des yeux sans cesse et en contractant son nez et ses sourcils. Tous trouvaient que ce tic le gâtait beaucoup, mais je le trouvais si charmant que j’en pris l’habitude, et quelques jours après notre connaissance, grand’mère me demanda si je n’avais pas mal aux yeux, pour les cligner ainsi, comme un hibou. Jamais une seule parole tendre n’était échangée entre nous, mais il sentait son pouvoir sur moi, et inconsciemment mais tyranniquement, il en usait dans nos relations enfantines, et moi malgré mon désir de lui dire tout ce que j’avais sur le cœur, je le craignais trop pour me décider à la franchise, et je m’efforçais de paraître indifférent et sans broncher je me soumettais à lui. Parfois son influence me semblait insupportable, mais je ne pouvais m’en affranchir.

Il m’est pénible de me rappeler ces sentiments purs, bons, d’un amour désintéressé et sans bornes qui mourut sans être épanché et sans trouver de sympathie.

C’est étrange : pourquoi, quand j’étais enfant, —