Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol1.djvu/205

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quelque chose de diaphane, couleur de cire. Je montai sur une chaise pour mieux regarder son visage, mais à l’endroit où il devait être, je vis encore la même chose, transparente, jaunâtre. Je ne pouvais croire que ce fût son visage. Je me mis à le regarder plus fixement, et peu à peu, je reconnus les traits si chers. Quand je fus convaincu que c’était elle, je tressaillis d’horreur. Pourquoi ses yeux fermés sont-ils si enfoncés ? Pourquoi cette effrayante pâleur, et sur une des joues, une tache noire sous la peau transparente ? Pourquoi l’expression du visage si sévère et si froide ? Pourquoi les lèvres sont-elles si pâles, et leur ligne si belle, si majestueuse, exprime-t-elle si bien la tranquillité de l’au-delà qu’un frisson glacé court dans mon dos et mes cheveux, tandis que je la regarde fixement ?…

Je regardais et je sentais qu’une force inexplicable, invincible attirait mon regard sur ce visage sans vie. Je ne le quittais pas des yeux et mon imagination dessinait les tableaux les plus riants de la vie et du bonheur. J’oubliais que le cadavre couché devant moi et que je regardais stupidement comme un objet n’ayant rien de commun avec mes souvenirs, c’était elle. Je me la représentais dans l’une ou dans l’autre attitude : vivante, gaie, souriante ; puis, subitement, je fus frappé d’un trait du visage pâle sur lequel s’arrêtèrent mes yeux. Je me rappelai la terrible réalité, je frissonnai, mais ne cessai de