Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol1.djvu/310

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Antonovitch (sans doute il parlait de moi) ; ensuite des voix enfantines, ensuite des rires, des allées et venues, et au bout de quelques instants, dans toute la maison, régnait le mouvement habituel comme si personne ne savait et ne pensait que j’étais dans le cabinet noir.

Je ne pleurais pas, mais quelque chose de lourd comme une pierre pesait sur mon cœur. Les pensées et les images, avec une rapidité grandissante, traversaient mon imagination troublée ; mais le souvenir du malheur qui m’avait frappé interrompait sans cesse leur chaîne capricieuse, et de nouveau je retombais dans un labyrinthe sans issue, dans l’incertitude du sort qui m’était réservé, dans le désespoir et la peur.

Tantôt il me vient entête qu’il doit exister une cause de cette aversion générale et même de haine pour moi ; dans ce moment, j’étais convaincu que tous, depuis grand’mère, jusqu’au cocher Philippe, me haïssaient et prenaient plaisir à mes souffrances. « Probablement je ne suis pas le fils de ma mère et de mon père, je ne suis pas le frère de Volodia, mais un malheureux orphelin, un enfant trouvé, ramassé par pitié, » pensai-je en moi-même ; et cette idée absurde, non seulement me fut une consolation triste, mais même me parut tout à fait vraisemblable. J’avais du plaisir à me croire malheureux, non parce que j’étais coupable, mais parce que tel était mon sort dès ma