Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol1.djvu/312

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punition ignominieuse qui m’attendait, la réalité se présenta à moi, sous son vrai jour, et momentanément, mes rêves s’évanouirent.

Parfois, je m’imagine déjà libre, hors de notre maison. J’entre dans les hussards, je vais à la guerre. De tous côtés les ennemis se portent vers moi, je brandis mon sabre et j’en tue un ; un autre mouvement et j’en tue un autre et un troisième. À la fin, exténué par la fatigue et les blessures, je tombe sur le sol et crie : « Victoire ! » Le général s’approche de moi et demande : « Où est notre Sauveur ? » On me montre. Il se jette à mon con et avec des larmes de joie, crie « Victoire ! » Je guéris, et, le bras passé dans une écharpe noire, je me promène sur le boulevard Tverskoïé. Je suis général ! Mais voilà, l’empereur me rencontre et demande : « Quel est ce jeune homme blessé ? » On lui répond : C’est un héros célèbre, Nikolaï. L’empereur s’approche de moi et dit : « Je te remercie, je ferai tout ce que tu me demanderas ». Je salue respectueusement et, appuyé sur le sabre, je dis : «Je suis heureux, grand empereur, de pouvoir verser mon sang pour la patrie, et je voudrais mourir pour elle. Mais puisque tu me fais la grâce de me permettre de te solliciter, je te demanderai une chose : — Permets moi d’anéantir mon ennemi, un étranger, Saint-Jérôme, je veux détruire mon ennemi Saint-Jérôme. Je m’arrête sévèrement devant Saint-Jérôme et lui dis : « Tu as fait mon malheur,