Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol1.djvu/313

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à genoux ! Mais tout à coup, il me vient la pensée que le vrai Saint-Jérôme peut entrer d’un moment à l’autre avec les verges, et de nouveau, je me vois non le général qui sauve sa patrie, mais la plus misérable, la plus humiliée des créatures.

Parfois je songe à Dieu et je lui demande audacieusement pourquoi il me punit. « Il me semble que je n’ai pas oublié de prier soir et matin, alors pourquoi est-ce que je souffre ? » Je puis dire en toute vérité que le premier pas vers le doute religieux qui me troubla pendant mon adolescence, fut fait à ce moment, non parce que le malheur me poussait au murmure et à l’incrédulité, mais parce que l’idée sur l’injustice de la Providence, qui me venait en tête en ce moment de trouble moral absolu et d’isolement de toute une journée, fut comme le mauvais grain qui, tombant sur la terre humide, après la pluie, germe avec rapidité et enfonce ses racines. Parfois, je m’imagine que je vais mourir et je me représente vivement la surprise de Saint-Jérôme qui, en entrant dans le cabinet noir, trouvera, au lieu de moi, un cadavre. En me rappelant les récits de Natalia Savichna : que l’âme du défunt ne quitte pas la maison pendant quarante jours après la mort, je me voyais, après la mort, volant, invisible, dans toutes les chambres de la maison de grand’mère, j’entendais les larmes sincères de Lubotchka, les lamentations de grand’mère, et la conversation de papa avec Auguste Antonovitch :