Page:Tolstoï - De la vie.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

met à étudier la rivière ; et son moulin se désorganise entièrement. On dit au meunier que ce n’est pas ainsi qu’il faut s’y prendre. Il ne veut pas en convenir, et continue à raisonner sur la rivière. Il approfondit tant et si longtemps cette question, il discute si passionnément avec ceux qui lui montrent la fausseté de son raisonnement qu’il finit par croire que c’est la rivière qui est le moulin.

À toutes les preuves qu’on lui donne de la fausseté de ses raisonnements, ce meunier répond : « Aucun moulin ne peut moudre sans eau, par conséquent, pour connaître le moulin, il faut savoir lâcher l’eau, connaître la force de son courant, savoir d’où elle vient ; en un mot pour connaître le moulin, il faut étudier la rivière. »

Au point de vue de la logique, le raisonnement du meunier paraît irréfutable. L’unique moyen de le tirer d’erreur, c’est de lui prouver que ce qu’il y a de plus important dans tout raisonnement, ce n’est pas tant le raisonnement lui-même que la place qu’il occupe, et que, pour penser avec fruit, il est indispensable de savoir sur quoi il faut penser en premier lieu, et ce qui doit venir après.

Il faut lui démontrer qu’une activité rationnelle se distingue d’une activité non rationnelle en ce qu’elle dispose ses raisonnements par or-