Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 1.djvu/248

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Six semaines après, il était marié et s’établissait, comme on le disait alors, en heureux possesseur de la plus belle des femmes et de plusieurs millions, dans le magnifique hôtel des comtes Besoukhow, entièrement remis à neuf pour la circonstance.


III

Le vieux prince Bolkonsky recevait en décembre 1805 une lettre du prince Basile, qui lui annonçait sa prochaine arrivée et celle de son fils :

« Je suis chargé d’une inspection : cent verstes de détour ne peuvent m’empêcher de venir vous présenter mes devoirs, mon très respecté bienfaiteur, lui écrivait-il ; Anatole m’accompagne, il est en route pour l’armée et j’espère que vous voudrez bien lui permettre de vous exprimer de vive voix le profond respect qu’il vous porte, à l’exemple de son père. »

— Tant mieux, il n’y aura pas à mener Marie dans le monde, les soupirants viennent nous chercher ici ; » voilà les paroles que laissa imprudemment échapper la petite princesse, en apprenant cette nouvelle. Le prince fronça le sourcil et garda le silence.

Deux semaines après la réception de cette lettre, les gens du prince Basile firent leur apparition : ils précédaient leurs maîtres, qui arrivèrent le lendemain.

Le vieux prince avait toujours eu une triste opinion du caractère du prince Basile, et dans ces derniers temps sa brillante carrière et les hautes dignités auxquelles il avait trouvé moyen de parvenir pendant les règnes des empereurs Paul et Alexandre, n’avaient fait que la fortifier. Il devina son arrière-pensée aux transparentes allusions de sa lettre et aux insinuations de la petite princesse, et sa mauvaise opinion se changea en un sentiment de profond mépris. Il jurait comme un diable en parlant de lui, et, le jour de son arrivée, il était encore plus grognon que d’habitude. Était-il de méchante humeur parce que le prince Basile arrivait, ou cette visite augmentait-elle sa méchante humeur ? Le fait est qu’il était d’une humeur de dogue.

Tikhone avait même conseillé à l’architecte de ne pas entrer chez le prince :