Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 1.djvu/454

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Nicolas ne fut pas dupe du ton léger avec lequel il parlait de l’affaire, il le connaissait trop bien, pour ne pas deviner ses inquiétudes au sujet d’une affaire qui pouvait lui causer de grands désagréments. Tous les jours on venait l’ennuyer de nouvelles questions, de nouvelles explications, et, le premier mai, il reçut l’ordre de passer son commandement au plus ancien et de se présenter en personne à l’état-major de la division, pour y rendre compte du pillage dont l’accusait l’intendance. La veille, Platow fit une reconnaissance avec deux régiments de cosaques et deux escadrons de hussards. Denissow y fit preuve de son courage habituel, en s’avançant jusque sur les lignes des tirailleurs ennemis. Une balle française l’atteignit à la jambe. En temps ordinaire, il n’aurait fait aucune attention à cette légère blessure et n’aurait pas quitté le régiment, mais cette fois elle lui servit de prétexte pour se débarrasser de sa visite à l’état-major, et se faire envoyer à l’hôpital.


XVII

Au mois de juin eut lieu la bataille de Friedland, à laquelle les hussards de Pavlograd ne prirent aucune part, et qui fut suivie d’un armistice. Rostow, se sentant tout isolé sans son ami, n’en ayant eu aucune nouvelle depuis son départ, et inquiet des suites qu’avait pu avoir sa blessure, profita de la trêve pour se rendre à l’hôpital, situé dans un petit bourg, deux fois saccagé par les troupes russes et françaises. L’aspect en était d’autant plus sombre, que la saison était belle et que les champs réjouissaient la vue, pendant qu’on ne voyait dans ces rues ruinées que des habitants déguenillés, et des soldats ivres ou malades.

Une maison en pierres, dont les vitres étaient à moitié brisées, et entourée des restes d’une palissade, portait le nom d’hôpital. Quelques soldats, dont les membres étaient entourés de linge, pâles et bouffis, assis ou errants, se chauffaient au soleil.

À peine entré, Rostow fut saisi à la gorge par l’odeur de pharmacie et en même temps de décomposition qui y régnait. Il rencontra sur l’escalier un médecin militaire russe, un cigare à la bouche, accompagné d’un chirurgien :