Page:Tolstoï - Histoire d’un pauvre homme.djvu/9

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pour savoir que je fais tout ce qui dépend de moi pour soulager mes paysans. Tu sais que je suis capable de faire les plus grands sacrifices pour n’envoyer ni Doutlof ni Koriouchkine.

Je ne sais s’il vint à l’idée de l’intendant qu’il ne fallait pas du tout faire de grands sacrifices pour sauver le paysan, mais donner simplement trois cents roubles.

— Je te déclare une chose seulement, c’est que je ne donnerai Polikei pour rien au monde. Lorsque, après l’affaire de la montre, il est venu m’avouer tout, lui-même, en pleurant, il m’a juré qu’il se corrigerait. J’ai longuement causé avec lui, et j’ai vu qu’il était vraiment touché et qu’il se repentait sérieusement.

— La voilà sur son dada, pensa Iégor Ivanovitch, et il examina le sirop qu’on avait préparé pour madame dans un verre d’eau.

— Est-elle au citron ou à l’orange ? Cela doit être légèrement amer, pensa-t-il.

— Sept mois se sont écoulés depuis lors, continue madame, et il ne s’est pas enivré une seule fois. Sa conduite est irréprochable. Comment veux-tu que je punisse un homme qui s’est repenti et corrigé ?… Ne trouves-tu pas que c’est inhumain de donner un homme qui a cinq enfants et qui est tout seul pour les nourrir ? Non, Iégor, ne m’en parle même pas, je t’en prie.

Et la dame avala une gorgée d’eau au sirop.

Iégor Ivanovitch suivit le trajet de l’eau à travers la gorge de madame et il répondit d’un ton sec :

― Vous ordonnez donc, madame, que je désigne Doutlof ?…

Madame leva les bras d’étonnement.