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Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/134

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seulement les Romains, seulement les Français ; mais nous, nous ne pouvons plus croire cela, — et ces hommes qui, à notre époque, se donnent tant de mal pour défendre l’aristocratie et le patriotisme, ne peuvent pas croire ce qu’ils disent.

Nous savons tous, et nous ne pouvons pas ne pas savoir, quand même nous n’aurions jamais rien entendu ni lu sur cette idée, quand même nous ne l’aurions jamais exprimée nous-mêmes en nous imprégnant de ce sentiment qui flotte dans l’air chrétien, — nous savons de tout notre cœur, et nous ne pouvons pas ne pas savoir, que nous sommes tous fils d’un seul Père, quelque lieu que nous habitions, quelque langue que nous parlions ; que nous sommes tous frères et tous justiciables de la seule loi de l’amour mis dans notre cœur par notre Père commun.

Quels que soient les idées et le degré d’instruction d’un homme de notre époque, un libéral instruit de n’importe quelle nuance, un philosophe de n’importe quel système, un savant, un économiste de n’importe quelle école, même un croyant ignorant de n’importe quelle confession, chaque homme sait que tous les hommes ont les mêmes droits à la vie et aux jouissances de ce monde, que tous les hommes, ni pires ni meilleurs les uns que les autres, sont égaux. Chacun sait cela d’une manière absolue, fermement. Et cependant non seulement chacun voit autour de lui la division des hommes en deux castes, l’une peinant, souffrant, misérable, opprimée, l’autre oisive, dominatrice, vivant dans le luxe et dans les fêtes ; mais encore, volontairement ou non, chacun participe d’un côté ou de l’autre au maintien de ces divisions que sa conscience condamne, car il ne peut pas ne pas souffrir de cette contradiction et du concours qu’il apporte à cette organisation.