Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/179

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les gouvernements la voudront toujours, la guerre existera toujours. »

Ainsi écrit cet écrivain de talent, sincère, doué de cette faculté d’entrer dans le vif du sujet, qui constitue l’essence du don poétique. Il nous représente toute la cruauté de la contradiction entre la conscience des hommes et leurs actions, mais il ne cherche pas à la résoudre et semble reconnaître que cette contradiction doit exister et qu’elle contient en elle la tragédie poétique de la vie.

Un autre écrivain, non moins doué, Édouard Rod, dépeint sous des couleurs plus vives encore la barbarie et la folie de la situation actuelle, mais, lui aussi, dans le seul but de constater son caractère tragique et sans proposer aucune issue :


« À quoi bon agir ? À quoi bon rien entreprendre ? Et comment aimer les hommes, dans ce temps troublé où le lendemain n’est qu’une menace !… Tout ce que nous avons commencé, nos idées qui mûrissent, nos œuvres entrevues, le peu de bien que nous aurons pu faire, ne sera-ce pas emporté par l’ouragan qui se prépare ?… Partout le terrain tremble sous nos pas, et des nuages s’amassent à notre horizon qui ne nous feront pas grâce.

« Ah ! s’il n’y avait à redouter que la révolution dont on nous fait un spectre !… Incapable d’imaginer une société plus détestable que la nôtre, j’ai pour celle qui lui succédera plus de méfiance que de crainte. Si je devais souffrir de la transformation, je me consolerais en pensant que les bourreaux du jour sont les victimes de la veille, et l’attente du mieux ferait supporter le pire. Mais ce n’est pas ce péril éloigné qui m’effraye : j’en vois un autre, plus rapproché, plus cruel surtout ;