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Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/184

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la fenêtre la rumeur de la ville et le pépiement des moineaux dans l’enclos.

Tous les objets étaient très éclairés ; la chambre s’était égayée, un léger vent printanier agitait les feuillets de mon Algèbre et les cheveux de Kolia. Je m’approchai de la fenêtre, m’assis dessus, me penchai au-dessus de l’enclos et me mis à rêver.

Un sentiment nouveau pour moi, violent et délicieux, pénétra dans mon âme. La terre humide, où paraissaient et là des herbes jaunies, aux pointes verdissantes ; les petits ruisseaux qui brillaient au soleil et entraînaient de petites mottes de terre et de petits morceaux de bois ; les rameaux et les bourgeons gonflés du lilas se balançant juste sous ma fenêtre ; le gazouillement affairé des petits oiseaux s’agitant dans le lilas ; le mur de clôture noirâtre, humide de la fonte des neiges ; par-dessus tout, cet air humide, sentant bon, et ce gai soleil : tout me parlait clairement de quelque chose de nouveau et de magnifique, que je ne saurais rendre tel qu’il se révéla à moi, mais dont j’essaye de donner l’impression — tout me parlait de beauté, de bonheur et de vertu, tout me disait que l’un m’était aussi facile et aussi possible que l’autre, que l’un ne pouvait pas exister sans l’autre, et que beauté, bonheur et vertu ne font même qu’un. « Comment ai-je pu ne pas comprendre cela ! combien j’étais mauvais ! comme j’aurais pu et comme je pourrais à l’avenir être bon et heureux ! disais-je en moi-même ; il faut commencer au plus vite, à la minute même, à devenir un autre homme et à vivre autrement ! » Je restai néanmoins, longtemps encore, assis sur la fenêtre, rêvant et ne faisant rien.

Vous est-il arrivé, en été, de vous étendre pour dormir par un temps sombre et pluvieux et de vous réveiller au coucher du soleil ? Vous ouvrez les yeux et, par l’embrasure de la fenêtre, sous le store de coutil gonflé par le vent et dont la tringle vient battre l’appui de la croisée,