Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/69

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amusant ; on voit tout, et Philippe me laisse conduire. Quelquefois je prends le fouet. Et les passants, vous savez ? quelquefois… Il fit un geste expressif. — C’est si amusant !

— Excellence, dit un laquais en entrant, Philippe demande où vous avez mis le fouet.

— Comment ! où je l’ai mis ? Je le lui ai rendu.

— Il dit que non.

— Alors je l’ai accroché à la lanterne.

— Philippe dit que non, et vous feriez mieux de dire que vous l’avez pris et que vous l’avez perdu ; sans ça, Philippe, sera obligé de payer vos polissonneries de son argent, » continua le laquais irrité, en s’animant de plus en plus.

Cet homme avait un air respectable et hargneux. À la chaleur avec laquelle il prenait le parti de Philippe, on sentait qu’il était décidé à tirer, à tout prix, cette affaire au clair. Par un sentiment spontané de délicatesse, je me retirai à l’écart en feignant de ne rien voir ni entendre. Les laquais qui se trouvaient dans l’antichambre agirent d’une façon tout opposée. Ils se rapprochèrent et regardèrent le vieux serviteur d’un air approbateur.

« Eh bien ! c’est bon ; je l’ai perdu, dit Étienne en éludant d’autres explications. Je lui payerai son fouet. C’est à crever de rire, ajouta-t-il en venant à moi et en m’entraînant vers le salon.

— S’il vous plaît, barine, avec quoi est-ce que vous payerez ? Je sais comment vous payez, moi. En huit mois, vous avez donné vingt kopeks en tout à Maria Vasilevna, à moi autant en deux ans, à Pierre….

— Veux-tu te taire ! cria le jeune prince en pâlissant de colère. Je le dirai !

— Je le dirai, je le dirai ! fit le laquais. Ça n’est pas bien, Excellence ! » cria-t-il avec un redoublement d’énergie au moment où nous entrions dans la salle, et il emporta les manteaux.

« Il a raison ! » dit derrière nous, d’un ton approbateur, une voix venue de l’antichambre.