Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/128

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et continua à écrire. Jérochka s’ennuyait de boire seul : il voulait causer.

« J’ai été aux fiançailles, dit-il, mais ce sont des brutes, je ne m’en soucie pas ; je suis venu chez toi.

— D’où as-tu cette balalaïka ? demanda Olénine, sans cesser d’écrire.

— J’ai été au delà de l’eau, père, et je me suis procuré une balalaïka, répondit-il toujours à demi-voix ; je suis passé maître sur cet instrument, je puis jouer ce que tu voudras : chanson cosaque, tatare, chanson de seigneur ou de soldat, indifféremment. »

Olénine lui jeta un regard en souriant et continua à écrire.

Ce sourire encouragea le vieux.

« Jette cela, père ! jette tout ! dit-il subitement d’un air décidé. On t’a fait de la peine ? eh bien ! moque-toi de cela ! Pourquoi rester à griffonner ? À quoi cela mène-t-il ? »

Il se mit à contrefaire Olénine, frappant à terre de ses gros doigts et grimaçant de sa grosse figure. « À quoi bon ces paperasses ? Amuse-toi, reprends courage ! »

Son cerveau n’admettait pas qu’on pût écrire dans un autre but que celui de chicaner quelqu’un.

Olénine éclata de rire, Jérochka de même. Il sauta sur ses jambes et fit parade de son talent à chanter des airs russes et tatares et à jouer de la balalaïka.

« À quoi bon écrire, mon brave ! écoute plutôt ce que je vais chanter. Une fois mort, tu n’entendras plus de chansons. Amuse-toi ! »

Il chanta d’abord un air de son cru, entremêlé de quelques pas de danse.

« A ! di, di, di, di, di, li ! Où l’ai-je vu ? au bazar où il vend des épingles. » Puis il dit une chansonnette qu’un sergent lui avait apprise :

Lundi je tombai amoureux,
Mardi je souffris le martyre,
Mercredi j’avouai mon amour,