Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/148

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je suis entraîné par une force irrésistible. Je souffre, mais j’existe ; — autrefois j’étais mort.

« Aujourd’hui même j’irai la trouver et je lui dirai tout. »


XXXIV


Il était tard quand, après avoir achevé sa lettre, Olenine entra chez son hôte. La vieille était assise sur un banc et filait de la soie. Marianna, tête nue, cousait à la lueur d’une chandelle. Elle sauta de sa place en voyant entrer Olénine, et, prenant un mouchoir, alla vers le poêle.

« Reste avec nous, Marianouchka ! »dit la mère.

« Non ! je suis nu-tête. » Et elle grimpa sur le poêle.

Olénine pouvait voir son genou et sa jambe fine. Il régala la vieille de thé, et elle lui offrit de la caillebotte, que Marianna apporta par son ordre ; après avoir placé l’assiette sur la table, elle remonta sur le poêle. Olénine sentait son regard. Il causa ménage avec la vieille, qui, saisie de générosité, lui offrit du raisin trempé et l’engagea à goûter de son vin avec cette rude hospitalité que possèdent les gens qui gagnent leur pain à la sueur de leur front. Cette vieille femme, dont la grossièreté avait frappé jadis Olénine, le touchait maintenant par la tendresse avec laquelle elle parlait de sa fille.

« Dieu soit loué ! nous avons tout ce qu’il nous faut, et du vin, et des salaisons ; nous avons trois tonnes de raisin à vendre, et nous en aurons assez pour notre propre consommation. Reste encore, ne t’en va pas. Tu viendras t’amuser chez nous à la noce.

— À quand la noce ? » demanda Olénine.

Tout son sang se porta au visage, et les battements de son cœur devinrent précipités et douloureux.