Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/303

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et qui semblait geindre en sifflant, passa au-dessus de leurs têtes et tomba sur une pierre.

« Attention ! dit l’un des soldats ; d’ici à ce soir tu auras peut-être ton congé définitif ! »

Tous se mirent à rire. Il ne s’était pas passé deux heures, le soir n’était pas encore venu, que deux d’entre eux avaient effectivement reçu leur congé définitif, cinq avaient été blessés, mais le reste continuait à plaisanter comme auparavant.

Au matin, deux mortiers furent remis en état, et Volodia reçut, sur les dix heures, l’ordre du commandant du bastion de rassembler ses hommes et d’aller avec eux sur la batterie. Une fois à la besogne, il ne leur resta plus trace de cette terreur qui, la veille encore, se manifestait si franchement. Vlang seul ne parvenait pas à la vaincre, il se cachait et se baissait à tout instant. Vassine aussi avait perdu son sang-froid, il s’agitait et saluait ; quant à Volodia, excité par une satisfaction enthousiaste, il ne pensait plus au danger. La joie qu’il éprouvait à bien remplir son devoir, à ne plus être un lâche, à se sentir au contraire plein de courage, le sentiment du commandement et la présence de vingt hommes qui, il le savait, l’observaient avec curiosité, en avaient fait un véritable héros. Tirant même vanité de sa bravoure, il montait sur la banquette, la capote déboulonnée pour se bien faire remarquer. Le commandant du bastion, en faisant sa tournée, ne put s’empêcher, quoiqu’il se fût habitué, huit mois durant, au courage sous toutes ses formes, d’admirer ce joli garçon au visage et aux yeux animés, à la capote déboutonnée laissant passer une chemise rouge qui emprisonnait un cou blanc et délicat, frappant dans ses mains, criant d’une voix de commandement : « Premier, second », et montant gaiement sur le rempart pour voir où tombait sa bombe. À onze heures et demie, le tir cessa des deux côtés, et à midi juste commença l’assaut du mamelon Malakoff, ainsi que des deuxième, troisième et cinquième bastions.