qui rebrousse, qui, sans hâte d’arriver, marche néanmoins, vole, et dans l’espace d’une minute va, vient dix fois de la terre au ciel et du ciel à la terre. Sans doute, ce n’est pas ainsi que l’on travaille, que l’on médite ou que seulement on contemple ; mais c’est bien ainsi que l’on pense et qu’arrivent à l’esprit les trois quarts au moins des idées justes qui s’y trouvent. Et, en effet, si savoir c’est réellement connaître autant que possible, et par l’observation personnelle plus heureusement encore que par toute autre méthode, les vrais rapports des choses, par quelle voie arriverait-on avec autant de rapidité à connaître mieux un plus grand nombre de ces rapports que par cette observation rêveuse, à la vérité, mais librement attentive, incomplète, mais riche, étendue, déliée, qui, sous le nom de flânerie, charme ou remplit, même à notre insu, les plus paresseux, et en apparence les plus stagnants de nos loisirs ? Étudier, apprendre, c’est bien, c’est indispensable. Les sciences, les livres, c’est la gloire des savants et la couronne de l’esprit humain. Mais prenez-les tous ensemble, vos livres, et douez-moi une statue de toutes les notions qui y sont écrites, sans en excepter une seule, et vous aurez bien vite reconnu qu’à ce nouvel animal il manque encore tout ce qui, sous le nom de sens commun, fait la possibilité de se comporter au milieu des êtres ou des choses sans y succomber à l’instant même sous l’ignorance des notions dont est riche l’illettré, le paysan, le simple lui-même ; or le flâneur, le vrai flâneur, est bien plus que le simple, bien plus que le paysan, bien plus que l’illettré et que le lettré aussi ; car, rien que pour avoir pratiqué excellemment le facile et paresseux loisir d’observer sans but et de penser sans hâte, il ne manque guère de devenir avec le temps philosophe aux deux tiers et poëte pour le reste.
La seconde manière de s’amuser, de profiter partout, c’est moins d’aborder les gentlemen ou de questionner les cicerone, qu’au contraire de les planter là pour s’entretenir sans sotte familiarité comme sans sot orgueil avec les bonnes gens. Les bonnes gens, c’est ici un manant qui tire de l’eau d’un puits ; là, un garçon d’étable qui bouchonne une rosse ; plus loin, un faucheur, un bouvier, un savetier, une vieille qui file, un fermier qui attelle, ou encore un aubergiste, s’il n’est pas trop important, trop fashionable, trop bête, ou, ce qui revient au même, trop spirituel pour vous. De ces bonnes gens-là, nous pouvons assurer qu’on en trouve partout, et c’est auprès d’eux, dans leur commerce, que l’on rencontre mieux qu’ailleurs, exclusivement, allions-nous dire, et ce sens droit qu’exerce le travail, l’activité, l’expérience, la pratique des choses, et