Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/411

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le temps de fondre, y demeurent en permanence, et il arrive aux gens du pays d’appeler avalanches ces restes de l’avalanche véritable. De là la méprise de notre touriste, qui, visitant ces vallées pour la première fois, et la tête farcie de notions d’itinéraires, s’était persuadé avec empressement qu’il avait eu glorieusement affaire à ce redoutable fléau des hautes Alpes.

J’aurais essayé de le désabuser s’il nous en eût laissé le temps, bien que ce soit une tâche malaisée et ingrate que de désabuser un homme lorsqu’il croit fermement à une chose qui flatte son amour-propre. Quand mon cousin Ernest se battit en duel, nous, honnêtes témoins et bons parents, nous avions chargé à poudre : l’adversaire ajusta, Ernest tira en l’air ; on s’en alla déjeuner, et l’honneur fut satisfait. Mais quand il raconte l’histoire, mon cousin Ernest, il prétend que la balle effleura son oreille, il imite le sifflement du projectile ; ma tante Sara frémit, toute la compagnie frémit, et nous… nous, honnêtes témoins et bons parents, nous sommes contraints de frémir avec la compagnie et avec ma tante. Frémirions-nous si ce n’était chose ingrate et malaisée que de désabuser notre cousin ?

Le touriste venait de nous quitter lorsque deux messieurs, qui me parurent être le père et le fiancé, entrèrent dans la salle. Ces messieurs se mirent à table, et parurent s’apprêter à bien souper. Leur appétit me choqua, et leur sécurité me déplut. Ce monsieur âgé me paraissait par trop tranquille pour un père dont la fille, déjà poitrinaire, venait de passer une demi-heure dans la neige ; et quant au fiancé, à chaque bouchée qu’il s’administrait, je m’en indignais, comme d’un outrage fait à la beauté malheureuse et souffrante. Je me souviens même qu’à l’exemple du touriste, je tirai de