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Page:Torcy (Blieck) - L'exode, 1919.djvu/117

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L’EXODE

penser à l’existence heureuse et calme des gens de province, des simples qui n’entendent point parler d’industrie, de sociétés financières ni des odieux mensonges de la civilisation. Au sortir de cet enfer, où l’on se battait plus affreusement que des damnés, la vue d’un bois vous gonflait le cœur. Jamais la campagne n’avait paru si douce. On s’émouvait à regarder une voile derrière le calme des vieux saules, à voir l’eau tranquille d’un canal où se mirait un nuage argenté, à sentir autour de soi des lieues de silence et de solitude, à rêver d’une existence cachée, loin des hommes, loin de la féroce bestialité des « blancs ».

Au prochain village, des voyageurs descendirent. Çà et là, un détail rappelait la guerre : des gendarmes à cheval arrêtés devant une auberge, le drapeau tricolore au sommet d’une église, un garde champêtre en faction, la pipe aux dents, le fusil sur le dos.

Enfin, on aperçut les peupliers tourmentés de la côte, l’ondulation ensoleillée des dunes, la vieille tour carrée de Nieuport.

À présent qu’un peu de calme revenait à Philippe, un regret, jusqu’alors étouffé par l’inquiétude, lui souleva la poitrine au souvenir de Frédéric et d’Yvonne, demeurés là-bas au pouvoir des Allemands !… Et Lucienne, qu’il avait abandonnée !… Ce pauvre Axel, aussi, malade et sans personne pour lui tendre un verre d’eau !

Que penseraient-ils de sa fuite, après sa promesse de rester auprès d’eux ? Ce n’était pas sa faute, pourtant !