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TROISIÈME PARTIE

fille pour serrer les doigts maigres et réticents de Mme Grassoux, qui s’inclina sans rien dire.

Elle ne parlait guère, Mme Grassoux. Elle se barricadait prudemment derrière la réserve la plus épineuse, craignant qu’une obligeance, une parole aimable ne compromît la sûreté de sa fortune. Aussi la défendait-elle « contre les entreprises de la famille ». Frères, sœurs, cousins, oncles ou neveux lui semblaient suspects, qui s’autorisaient « des liens du sang » pour s’approcher de M. Grassoux. Il était plus grave encore de s’approcher des deux « fillettes ». À moins d’avoir vingt-cinq mille francs de revenus, aucun jeune homme n’était admis à leur faire un doigt de cour.

Bien qu’elles eussent dix-sept et dix-huit ans, leur mère les retenait dans l’enfance, les habillait mal et les coiffait ridiculement. En société, elle les contraignait à se taire, à s’asseoir au bord d’une chaise, à se tenir immobiles et les mains croisées sur les genoux.

Le charme et l’affabilité de Mme Grassoux lui avaient valu le surnom de Banquise. On parlait d’elle en usant de vocables polaires. On l’appelait aussi la mère de glace. Et il semblait que l’hiver eût givré sa chevelure abondante et noire.

D’un profil aigu, d’un maintien qui ne s’abandonnait point, elle donnait l’impression d’un « caractère », en comparaison duquel celui de M. Grassoux paraissait plein de bonhomie, et d’affectueuse cordialité.

En peu de mots, elle expliqua, se penchant vers