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TROISIÈME PARTIE

Sur une poutre, comme un drapeau, flottait un tapis rouge ; un piano demeurait suspendu aux solives d’un plafond entr’ouvert ; des cadres se voyaient aux murs, et des cheminées de marbre, à chaque étage ; parfois, plus rien qu’un trou à la place d’une maison.

La tour des halles tendait vers les nuages un bras mutilé. Au loin, dans la campagne, les flocons blancs des obus flottaient par-dessus les arbres, fauchés à hauteurs inégales et gardant des bouts de branches, pareils à des moignons.

Autour de la ville, sur les routes au delà des remparts, des canons, des chariots, des soldats remuaient comme des chenilles sur le bord d’une feuille rongée. Soulevant ses lunettes, Barnabé s’essuya les paupières ; puis il entra dans la salle de lecture.

Une housse de poussière blanche couvrait les meubles ; le vent soufflait par les fenêtres sans carreaux ; les Revues de Paris se décollaient sous la pluie, et une odeur de moisissure montait de ces ruines qui rappelaient au vieillard le temps heureux où l’on pouvait vivre tranquille, sans souci des Allemands.

Aussi, regrettant d’avoir vécu trop vieux, il souhaita mourir, bien qu’il ne se sentît point le courage de se donner la mort. Rentré chez lui, et songeant au passé, il erra dans les chambres démolies, recueillant un bibelot, un paquet de lettres, une photographie, qu’il emportait à la cuisine, seule pièce habitable qui ne fût point éventrée par les obus.

Quand le bombardement recommença, il attendit la