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L’EXODE

bon sens à traîner ainsi. Déjà le chemin de fer est supprimé à Dunkerque. Si les Allemands nous surprennent, il n’y aura plus moyen de partir. Qui sait si, bientôt, nous ne serons pas réduits à nous sauver à pied, sans rien pouvoir emporter ?

Marthe ajoutait, avec un soupir :

— Il ne reste que des chars à bancs et des bateaux de pêche. Encore manqueront-ils avant huit jours ! Et elle s’emportait en songeant à Philippe, qu’elle accusa d’égoïsme, d’impéritie ; car, enfin, il ne semblait pas comprendre la gravité de la situation et que son premier devoir était de s’occuper de sa femme et de son enfant !

— Calmez-vous ! répliquait M. Forestier. Si Philippe ne revient pas, c’est que nous n’avons rien à craindre. Il est à la source des informations. Les Anglais le renseignent. S’il y avait le moindre danger, soyez sûre qu’il serait auprès de vous.

Encore que la prise d’Anvers eût donné le coup de grâce à son optimisme, le rentier résistait de son mieux à la panique des femmes. La perspective de l’exil épouvantait son humeur casanière, et c’était par faiblesse, par frayeur de l’inconnu, qu’il se montrait si brave.

En dépit de sa casquette marine et de sa moustache rude, coupée court, il était timide et fort irrésolu. Avec de larges épaules, une santé de matelot, une taille brève et un embonpoint de sédentaire, il avait l’âme toute en douceur. M. Grassoux l’estimait ridicule ; mais Philippe le tenait pour un des hommes les plus