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dans un pays ruiné, sans autre métier que la peinture et sans nouvelles de leur fils ?

Depuis la bataille de l’Yser, on avait perdu sa trace. On le croyait mort dans les combats effroyables du 21 octobre, à Dixmude.

Pauvre petit Jean, si courageux à défendre sa patrie, il n’était qu’un des vingt mille hommes sacrifiés aux rives de l’Yser. Et tout le sang versé là ne représentait qu’un point rouge sur l’étendue de l’Europe, dont les Allemands allaient faire un charnier. À force de travail, de luttes et de privations, Frédéric et Yvonne avaient pu élever leur fils, lui payer des études jusqu’à ce qu’il eût trouvé un emploi d’ingénieur. Il commençait à se créer une situation, ses parents voyaient en lui le soutien de leur vieillesse, et l’avenir semblait moins sombre, parce que Léon s’y dressait avec son courage, sa confiance dans la vie et son sourire de jeune audacieux… Le brave cœur se croyait plus fort que le destin ! Énergique, impatient d’action, il voulait « vivre sa vie » de toute la puissance de sa volonté !

Et voici qu’au moment où il avait maîtrisé le sort, la guerre le broyait, comme elle devait en broyer des millions d’autres… Il était mort, victime d’une civilisation où l’homme avait perdu jusqu’au droit de vivre, où quelques milliers de bandits avaient organisé la force pour supprimer toute liberté.

Ah ! oui, il valait mieux qu’Yvonne et Frédéric fussent restés au pays : ils y gardaient l’illusion que