Page:Torcy (Blieck) - L'exode, 1919.djvu/220

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la contrainte physique, à la manière d’un automate articulé par la convention, toutes fenêtres fermées sur la vraie vie. Jamais un peu d’air pur, de franchise, de vérité. Surtout pas la moindre indépendance, rien ne lui était permis, tout lui était défendu. Sa volonté personnelle, barrée par sa mère, s’était repliée sur elle-même, puis détendue en vains désirs. L’amour, qui eût empli le vide ennuyeux de ses jours, si elle avait rencontré l’homme de ses rêves, ne lui avait apporté que de médiocres aventures ou des aspirations irréalisables, comme celles qui l’avaient entraînée vers Philippe à Gerseau. Etait-ce de l’amour, de l’amitié, de la sympathie ?

Elle n’en savait rien, sinon qu’elle devait à cet homme le meilleur de son âme. Il était l’unique souvenir de son passé, dont la récurrence ne lui fût point pénible. Comme Charlotte Bronte de son professeur, elle s’était éprise du seul être qui eût apporté dans sa vie le sentiment de l’idéal. Certes, Philippe était souvent irrésolu, — elle en avait eu la preuve à Lugano — mais cela tenait à sa pénétration morale, qui lui montrait la conséquence de ses actions. Elle ne lui en voulait donc pas d’avoir découragé sa tendresse : il avait dû souffrir autant qu’elle.

Brusquement, l’invasion les avait séparés, et elle se trouvait sans appui, au moment où la présence de Philippe lui était le plus nécessaire. Dans cette affreuse orgie de souffrance, elle n’avait personne à qui se confier ; dans ce monde, si sévère à l’amour, elle voyait