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L’EXODE

Gémissant au souvenir de la ville d’Ypres, si claire et si jolie, aux façades sculptées d’ornements, aux balcons de fer si gracieusement tournés, il maudissait l’Allemagne qui n’en laissait que des ruines et l’obligeait à vivre dans un bagne utilitaire.

Il se consolait néanmoins à penser qu’il y gagnait sa vie, modestement à vrai dire, mais sans dépendre d’un comité de secours.

Aussi conseillait-il à Philippe de ne pas se fier davantage à l’optimisme des journaux : « Pour le moment, il est enfantin ; bientôt vous le verrez tragique. Plus que les Anglais, nous en paierons les conséquences. Et si la guerre se prolonge, gare la pauvreté ! »

Philippe, orgueilleux et vulnérable, préférait la mort à la pauvreté ; non qu’il en craignît les privations, mais il redoutait le mépris dont elle s’accompagne, l’abandon où la misère vous laisse, avec votre rage impuissante et la blessure de vos humiliations.

Cependant, il ne suivit point le conseil du Dr  Claveaux.

— Sylvain voit les choses en noir, dit-il à Marthe.

— Évidemment. C’est l’influence de la fumée d’usines… D’ailleurs, il y a moyen de résister plus longtemps.

— Comment cela ?

— Mais… en demandant aux Van Weert de loger avec nous : cela diminuerait de moitié le loyer.

C’était le souci de Marthe, ce loyer trop lourd. Le ménage, on le réduisait à la plus tranchante économie,