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QUATRIÈME PARTIE

avoir chez eux. C’était la fin d’une intimité de vingt ans.

— Que veux-tu ! dit Marthe, il le fallait, mon ami.

— Je ne dis pas le contraire, mais enfin la maison ne nous appartient plus.

Philippe se plaignait de ne plus trouver un moment de solitude, un coin réservé, où il fût à l’abri des nombreux visiteurs qu’invitaient les Van Weert.

Le mari passait chaque jour une heure à polir ses ongles, taillés en amande et d’une longueur à étonner un mandarin. À les voir, on devinait que le moindre travail était pénible au financier. Aussi tâchait-on de lui en épargner la disgrâce. Il se montrait, d’ailleurs, si maladroit, si incapable du moindre service qu’on s’empressait de l’envoyer en ville, prendre des nouvelles de la guerre et se procurer le journal.

Sa femme, au contraire, toujours prête à se rendre utile, courait à la moindre besogne et répandait une incessante agitation. Elle cassait la vaisselle avec une gaucherie charmante ; elle épuisait en trois jours les provisions de la semaine ; elle rapportait du marché des soles, du saumon, de la volaille à ruiner le budget d’un sénateur, si bien que Marthe en avait des sueurs froides et préférait la laisser au salon bavarder à l’aise en compagnie des visiteurs. L’après-midi, elle se hâtait vers le Club Anglo-Belge, où elle roulait deux ou trois bandes avec un dévouement patriotique ; le soir, enfin, elle tombait dans un fauteuil, épuisée, mais heureuse des nombreux devoirs qu’elle avait accomplis.