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L’EXODE

parfois regretté votre mariage. Et cela n’est pas encourageant.

— Mon Dieu !… il y a des jours où je m’imagine que, sans le mariage, et près d’une femme plus ambitieuse que Marthe, j’aurais pu réaliser mes aspirations d’artiste ; mais je n’en suis pas très sûr !… D’autres fois, je me dis que son amour est encore ce que j’ai eu de meilleur.

Le long du chemin qui conduit à l’hôtel, ils s’arrêtaient à causer, heureux d’être seuls et de sentir leur âme s’affranchir un peu à la faveur de cette solitude.

Le dépit d’amour, dont Lucienne avait souffert, la laissait assoiffée d’une autre tendresse. Philippe, se prenant à la douceur des consolations qu’il prodiguait à la jeune fille, se sentait pareil à ces affamés, rôdant aux seuils des riches et respirant l’odeur des festins…

Parfois, ils demeuraient silencieux, assez longtemps pour en être embarrassés. Tous deux savaient de loin qu’ils s’aimaient d’affection et qu’ils se fussent aimés d’amour, s’ils avaient été libres. Mais ils ne l’étaient pas.

Jusqu’alors, leur amitié les avait peu troublés, car ils gardaient la conscience de l’obstacle qui se dressait entre eux. Cependant, la solitude, l’oubli du monde et leur mélancolie leur donnaient ce soir une absurde envie de tendresse. Toutefois, ils n’osaient avancer une parole qui les eût rapprochés. Peut-être eût-il suffi d’un regard pour les jeter aux bras l’un de l’autre, mais ce regard se fût perdu dans l’ombre…