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PREMIÈRE PARTIE
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vers autrui : agissons au lieu de prier ! N’ayons d’espoir qu’en nous et dans les autres hommes.

Avec son beau-frère, le peintre Sauvelain, Philippe s’était fait inscrire à la Maison du Peuple. Mais Sauvelain, dans un corps faible et maladif, cachait une âme ardente et volontaire. Épris d’art social, il avait lutté contre le snobisme de la peinture contemporaine. Philippe, au rebours, s’était vite retiré du milieu socialiste, où il voyait, en haut, l’intrigue et l’arrivisme, en bas, l’ignorance et la jalousie de toute supériorité.

Il était donc revenu dans sa « tour d’ivoire ». Isolé dans un orgueilleux souci d’art, il avait écrit des pages d’un style harmonieux ; mais, éloigné de la politique, du mouvement social, des efforts de la communauté, il n’avait produit aucune œuvre où l’on sentît palpiter l’âme collective d’un peuple ou d’une race… Bah ! c’est ma faute ! pensa-t-il, je suis devenu un Byzantin. Je n’ai rien de sérieux à dire. Je m’amuse à des formules : impressionnisme, symbolisme, que sais-je encore ! Au lieu d’aller vers la vie !…

En ce moment, Lucienne parut sous l’arcade. Les mains jointes et tombantes sur sa jupe grise à volants, elle contempla le cimetière fleuri. Les rubans de son chapeau bergère, lâchement noués sur la poitrine, formaient un gracieux ovale, que doublait celui des bras nus.

Son teint mat, ses larges yeux cernés, son corps que l’on sentait libre sous un vêtement léger, cette atmosphère de langueur ardente qui flottait autour d’elle