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L’EXODE

garde civique en faction, les mains dans les poches et le fusil sur le dos. Plus de cavaliers, d’attelages ni d’élégantes…

À la Laiterie, les garçons, une serviette sous le bras, s’ennuyaient entre les tables vides. Au pavillon de la musique, le manche d’une contrebasse dessinait sur le fond du ciel rouge un point d’interrogation. Les Tziganes en veste brodée d’or lisaient le journal et attendaient que la vie reprît son mouvement accoutumé.

Seul, M. Van Weert regardait avec mélancolie les avenues désertes, où ne passait qu’une bicyclette, filant à toute allure, et un couple amoureux qui s’éloignait vers l’ombre des sous-bois.

— Il fait sinistre ce soir, dit le financier, qui tendit à l’écrivain ses doigts gantés de chevreau.

Habillé de gris, du chapeau mou aux guêtres d’étoffe, M. Van Weert donnait une impression d’élégance mondaine, confirmée par un monocle d’où ruisselait un large cordon noir.

Son visage, rasé à l’anglaise, ne retenait point l’attention. M. Van Weert ressemblait à tout le monde. Aussi prenait-il beaucoup de mal à se distinguer du commun des mortels. Quand il se dégantait la main droite, on remarquait aussitôt une bague au chaton en forme de scarabée, qu’il portait à l’index, et qui donnait à connaître ses prétentions aux sciences occultes et, notamment, à la théosophie. Mais, pour apprécier M. Van Weert en sa véritable distinction, il fallait l’entendre discourir d’esthétique et, surtout, le