Page:Touchatout - Le Trombinoscope, Volume 1, 1871.djvu/93

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lui son ami Ollivier, et qui consiste à se faire faire la courte-échelle par le peuple pour décrocher un ministère. Il fonda le journal l’Electeur, et ses efforts allaient, sans nul doute, être couronnés du plus brillant succès, quand le 4 Septembre emporta l’Empire ainsi que le mât de cocagne au haut duquel était pendu le portefeuille que Picard allait atteindre. La rafale précipita Picard à terre ; mais sa conscience se développant dans toute sa largeur, fit parachute, et il retombe doucement sur ses pieds au beau milieu du gouvernement de la défense nationale. Toujours veinard, il arriva au moment du partage des portefeuilles, il en prit un au hasard, ce fut celui des finances. C’est à partir de ce moment que M. Ernest Picard, comme ses collègues de la défense nationale, se révéla dans toute la grandeur de sa nullité. Comme eux, il avait mis sa grasse main de chanoine sur le manche de cette massue formidable qui s’appelle : La Révolution ; pas plus qu’eux, il n’eut la vigueur nécessaire pour soulever seulement cet outil de terre ; comme eux, il jura à la France de la sauver ou de mourir ; pas plus qu’eux, il ne la sauva ni ne mourut. Comme eux, il eut l’admirable sang-froid de voir Trochu brûler des cierges pendant six mois, sans bousculer ce sacristain impérial, et appeler les Parisiens aux armes malgré lui ; comme eux, il permit les accaparements de comestibles, la famine des pauvres qui voulaient se battre, l’indigestion des riches qui voulaient se rendre ; comme eux, il voulut vivre ; pas plus qu’eux, il ne voulut vaincre. — Le 31 octobre, jour où la Commune essaya pour la première fois de déloger de l’Hôtel-de-Ville ce gouvernement qui s’était chargé d’aller trouer les Prussiens à Versailles, et semblait plutôt les attendre pour leur offrir des rafraîchissements sur la place de la Concorde, ce jour-là Ernest Picard fut sublime d’énergie ; il s’échappa de l’Hôtel-de-Ville, organisa la résistance à l’émeute et la vainquit presque à lui tout seul ! Ah !… c’est que là il s’agissait de son portefeuille !… Le 31 octobre Ernest remua plus sa grosse bedaine en cinq heures qu’il n’avait remué la langue en treize ans pour asticoter M. Haussmann au Corps législatif. — Après la conclusion de la paix, M. Picard fut renommé député, pas à Paris, oh ! non, on sortait d’en prendre ; Paris repasse ce républicain défraîchi à la province, et le département de Seine-et-Oise s’en délecta. — En février 1871, M. Picard était trop dépopularisé pour que M. Thiers ne le conservât pas au pouvoir ; il lui donna le portefeuille de l’intérieur. Plus tard, M. Picard se retira du ministère et fut nommé ambassadeur à Bruxelles. Que de métiers, grands Dieux !… et quelle perturbation la Providence se plaît à jeter dans les destinées ! Avocat, député, ministre de l’intérieur, ministre des finances, ambassadeur !… tout enfin !… Ernest Picard aura été tout… excepté maître limonadier !… C’est à dégoûter de venir au monde avec une vocation. — Depuis qu’Ernest Picard représente les topinambours de Seine-et-Oise à l’Assemblée nationale de Versailles, et la France à Bruxelles, on ne voit que lui