Page:Toulet - Béhanzigue, 1921.djvu/173

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Il a un frère, continua Prahly ; mais qui est moins bien ; il est un peu trop gros.

— Prahly, lui dis-je, quand je vous parle de cygnes, je vous prie de ne pas me parler de dentistes..

— C’est que, mon cher ami, il est docteur en médecine, reprit-elle, en fixant sur l’eau ses yeux stables et clairs, où je vis nager un bel oiseau blanc à la renverse.

Ecrit dans une fumerie d’Annam. — Prahly, Prahly, je t’ai perdue. Et quand je songe à toi, j’ai dans la bouche cette amertume qu’y laisse un fruit confit, givré de sucre…

Cette nuit, la petite maison, où l’on a tant fumé, que, d’y respirer seulement, on est à demi-heureux, tremble et frissonne sous les rafales.

— C’est un cyclone, me dit mon hôte, en passant au boy sa pipe vide.

C’est un cyclone, en effet, qui s’est jeté sur nous, ce soir, aussi vite qu’un oiseau de proie. À l’entendre, de son invisible vol, ébranler la terre et la mer, l’opium prend une douceur nouvelle — l’opium qui écarte les souvenirs mauvais, ou qui les déguise ; qui me rend Prahly à nouveau favorable, ou, tour à tour, me la fait détester avec délices. Et ne m’a-t-elle point trahi, chassé, cassé aux gages comme un laquais ! Ah, que de grands mots, pour elle qui est si petite.

Où êtes-vous, Prahly ? Très loin, ou très près ? C’est la neuvième pipe : je ne sais plus très bien. L’autre jour près du col des Nuages, à Cauailles, je crois, dans une baraque où des manœuvres