Page:Toulet - Béhanzigue, 1921.djvu/97

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En revenant, nous rencontrâmes ce cousin de Mme Sandwich, dont la famille a été exilée d’Angleterre pour avoir servi l’usurpateur Cromwell ; ce Mortebelle ou Mortibel qui est si laid et si noir, mais avec tant d’esprit que son visage et ses yeux sont comme reluisants de malice : au demeurant, qui passe pour une espèce de chien. Nous les fîmes monter tous deux dans notre carrosse, et lui, qui était au-devant de moi, prit aussitôt à toutes mains des privautés telles et si en avant que, sans être prude, je le dus avertir de cesser, d’abord avec les yeux, enfin par un coup de pied sur l’os de la jambe, qui lui faillit arracher un cri, et sans doute lui fit comprendre que toutes petites oies ne se laissent plumer sans crier. Je vis à ses regards qu’il se jurait la vengeance ; et aussi bien, a-t-il tenu parole.

Mais qui m’eût dit alors que de deux hommes seulement qui m’auraient, ce serait justement ces deux hommes-là, et qui me feraient souffrir le pire : l’un pour contenter sa colère, sa jalousie, tout son ennui qu’il fût si laid et moi si belle ; l’autre — je n’ai jamais bien su pourquoi.

Je ne pouvais non plus m’empêcher, tandis que nous roulions dans le faubourg, de comparer Mortebelle, petit, noir, mais plein d’énergie, semblait-il, à un grain de musc. Au lieu que le chevalier, on eût dit de quelque belle fraise, succulente plutôt que savoureuse, mais qu’on désire pour la fraîcheur de sa substance.

Ah ! les sanglantes petites fraises du Cerne, consumées et nourries de soleil, que, le matin, m’apportait cette grasse,