Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/46

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tions, qu’on voit dans leurs marmites des oiseaux à long bec, et leurs cuisiniers, en Russes qu’ils sont, s’abandonnent aux fantaisies de leur imagination, pour créer des sauces si extraordinaires, que le convive examine avec curiosité les mets inconnus qu’on lui présente et qu’il n’ose se résoudre à les porter à sa bouche.

Ermolaï était tenu de fournir, comme redevance à la cuisine de son seigneur, deux paires de coqs de bois ou de bruyère et deux paires de perdrix par mois ; à part cela, il avait pleine licence d’aller vivre où et comme bon lui semblait.

Tout le monde le laissait tranquille, ne l’estimant bon à rien. Il va sans dire qu’on ne lui donnait ni plomb ni poudre, et c’est probablement en suivant lui-même cette habitude qu’il ne nourrissait pas son chien. Ermolaï était un homme d’un étrange naturel : insouciant comme l’oiseau, expansif, distrait, gauche en apparence, très bavard, et ne se fixant nulle part que pour fort peu de temps. Il marchait comme un homme qui aurait les genoux cagneux ; son grand corps faisait le pendule de droite et de gauche, et, tout en oscillant des jambes et du corps en sens inverse, il parcourait bien par jour ses cinquante verstes. Il était naturellement exposé à