Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/261

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la voilà, continua Tatiana, entrant dans la chambre, un paquet à la main. —Elle arrivait à la porte, et avait entendu l’exclamation de Marianne. —Vous aurez tout le temps… ne voilà-t-il pas une affaire ! »

Marianne se précipita à sa rencontre.

« Vous l’apportez ?

Tatiana frappa de la main sur son paquet.

« Tout est là-dedans, au grand complet… Vous n’avez plus qu’à l’essayer… après quoi, vous pourrez vous montrer… et faire votre belle à gogo !

— Oh ! vite, allons, ma bonne Tatiana !… »

Marianne l’entraîna chez elle.

Resté seul, Néjdanof fit deux fois le tour de sa chambre, d’un pas mou et traînard, qu’il se figurait, on ne sait pourquoi, être la démarche des petits bourgeois ; il flaira prudemment sa manche, ainsi que l’intérieur de sa casquette, et fit une grimace ; il se regarda dans un petit miroir fixé au mur près de la fenêtre, et secoua la tête : décidément il n’était pas beau !

« Après tout, tant mieux ! » pensa-t-il.

Puis il choisit quelques brochures, les fourra dans sa poche, et prononça quelques mots à la façon du bas peuple, comme, par exemple : « Hé ben quoi ?… Ohé ! là-bas… quoi qu’ignia ? »

« Il me semble que c’est à peu près ça, se dit-il, mais bah ! à quoi bon faire l’histrion ? mon accoutrement répondra pour moi. »

Néjdanof se rappela à ce propos l’histoire d’un Allemand exilé, qui devait s’enfuir à travers la Russie, quoiqu’il parlât fort mal le russe ; il avait acheté dans un bazar de village un bonnet de marchand, bordé de fourrure de chat, et on l’avait pris partout pour un marchand, et il était ainsi parvenu à passer la frontière.

En ce moment Solomine entra.

« Ah ! ah ! s’écria-t-il, te voilà tout équipé. —Pardonne-moi, camarade, mais sous ce costume, il n’y a pas moyen de te dire « vous ».