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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/100

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— Attends un peu, repart ma mère, nous lui ferons épouser Gavrilo Fedoulitch ; ça l’amollira. »

Kharlof leva les yeux.

« Vraiment, madame, vous comptez à ce point sur lui ?

— Sans doute.

— Allons, vous en savez plus long là-dessus que moi ; seulement, n’oubliez pas ceci : Evlampia et moi, c’est le même caractère ; le sang cosaque, et le cœur comme un charbon ardent.

— Aurais-tu un cœur de cette espèce, mon père ? »

Kharlof ne dit rien ; il se fit un court silence.

« Eh bien, Martin Petrovitch, reprit ma mère, comment penses-tu sauver ton âme ? Iras-tu faire un pèlerinage à Saint-Mitrophane[1] ou à Kief, ou bien ici près, au couvent de Optino ? On dit qu’il vient de s’y manifester un moine d’une telle sainteté… Il se nomme Macaire… jamais un pareil saint ne s’est vu ; il n’a qu’à regarder, il voit tous vos péchés à travers votre corps.

— Si elle se montre, en effet, une fille ingrate, reprit Kharlof d’une voix rauque, il me semble qu’il me serait plus facile de la tuer de mes propres mains.

— Que dis-tu là, Seigneur Dieu ! s’écria ma mère ; reviens à toi. Voilà ce que c’est de ne m’avoir pas écoutée l’autre jour, quand tu venais me demander conseil. Maintenant tu vas te tourmenter au lieu de penser à ton salut ; et ce sera bien inutilement,

  1. Dont les reliques sont au couvent de Voronèj.