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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/112

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Je ne pouvais pas digérer que cette pauvre bête fût tombée aux mains d’un paysan.

« Pourquoi nous l’avons vendu ? Belle question ! À quoi pouvait-il servir ? À manger du foin sans profit. Un paysan saura toujours le faire labourer. Quant à Martin Petrovitch, s’il lui prend l’envie de sortir, il n’a qu’à nous en faire la demande. Nous ne lui refusons pas une voiture…, si ce n’est un jour de travail.

— Vladimir Vassiliitch ? » dit Evlampia d’une voix sourde, comme pour l’appeler, et sans quitter sa place. Elle tordait autour de ses doigts des tiges de plantain et en faisait sauter les têtes en les frappant l’une contre l’autre.

« Il y a encore le petit cosaque Maximka… continua Slotkine ; Martin Petrovitch se plaint qu’on le lui a enlevé pour le mettre en apprentissage. Daignez y réfléchir vous-même : qu’aurait-il fait chez Martin Petrovitch ? Le vagabond, et rien de plus. Il ne peut pas même servir comme il faut, parce qu’il est trop bête et trop jeune. Maintenant, il est apprenti chez un sellier. — Eh bien ! qu’il devienne un bon ouvrier ; il se rendra utile à lui-même et il nous payera un bon obrok[1]. Dans notre petit ménage, c’est quelque chose ; il ne faut rien dédaigner dans un pauvre petit ménage comme le nôtre. »

Et voilà l’homme que Kharlof traitait de guenille ! pensai-je en moi-même. « Qui donc fait la lecture à Martin Petrovitch ?

  1. Redevance annuelle du serf qui n’est pas à la glèbe.