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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/113

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— Que lire ? Il avait un livre, qui, grâce à Dieu, a disparu. Quelle idée de lire à son âge !

— Et qui lui fait la barbe ? » demandai-je encore.

Slotkine se mit à rire d’un air affable, comme pour encourager une bonne plaisanterie que j’aurais faite.

« Personne. Dans les premiers temps, il se grillait la barbe avec une chandelle ; à présent, il la laisse pousser… et c’est parfait.

— Vladimir Vassiliitch ? répéta Evlampia avec insistance ; venez donc ici ! »

Slotkine lui fit un petit signe de la main.

« Martin Petrovitch, reprit-il, est chaussé, vêtu ; il mange ce que nous mangeons. Que lui faut-il de plus ? N’a-t-il pas déclaré lui-même qu’il ne voulait plus rien en ce monde que penser au salut de son âme ? Eh bien ! qu’il y pense : il devrait se souvenir que maintenant…, tournez la chose comme il vous plaira… tout est à nous. Il se plaint aussi que nous ne lui payons pas sa pension… Est-ce que nous avons toujours de l’argent ? Et qu’a-t-il besoin de cet argent, puisque rien ne lui manque ? Je vous assure que nous le traitons tout à fait en bons parents… Voilà, par exemple, les chambres qu’il occupe. Nous en avons le plus grand besoin. Sans ces chambres, nous ne pouvons vraiment pas nous retourner. Et pourtant nous souffrons qu’il y demeure. Nous pensons même à lui procurer des distractions. Ainsi, pour le jour de la Saint-Pierre, je lui ai acheté à la ville d’excellents hameçons, très-chers, de vrais hameçons anglais. Nous avons des tanches dans l’étang ;