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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/141

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plus de violence et frappait mon visage. À mi-chemin ma selle faillit tourner. Je descendis de cheval et serrai les courroies avec les dents. Quelqu’un m’appela par mon nom ; c’était Souvenir qui courait à travers champs pour me rattraper.

« Eh, eh ! mon petit père, me criait-il de loin, la curiosité vous talonne. Eh bien, moi aussi ; il ne faudrait pas mourir sans avoir vu une telle chose.

— Vous voulez vous repaître de vos œuvres, m’écriai-je avec indignation », et, sautant sur mon cheval, je lui fis reprendre le galop. Cependant l’insupportable Souvenir ne restait pas en arrière ; il ricanait et grimaçait même en courant.

Voici enfin Ieskovo ; voici la digue, la haie du jardin, et les saules qui entourent l’habitation. J’arrivai à la porte cochère ; j’y attachai mon cheval, et restai muet de stupeur. D’un bon tiers du toit de la maison neuve il ne restait plus qu’un squelette. Des deux côtés de la maison étaient entassées des planches brisées. Sur le plancher du grenier, soulevant de la poussière et des débris, s’agitait avec une rapidité gauche et sinistre une masse noirâtre, un être informe ; tantôt cet être secouait le seul tuyau de cheminée qui restât, car l’autre s’était déjà écroulé ; tantôt il arrachait une planche du toit et la lançait par terre ; tantôt il saisissait les poutres à deux mains pour les ébranler : c’était Kharlof.

Cette fois encore il me fit l’effet d’un ours ; la tête, le dos, les épaules, les jambes écartées posant sur le talon, tout contribuait à la ressemblance. Le vent