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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/173

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naires, il parla des pressentiments… des fantômes. Par une nuit semblable à celle-ci, me raconta-t-il, un étudiant de ses amis, entré depuis peu comme gouverneur chez deux orphelins, et logeant avec eux dans un pavillon de jardin, avait vu une figure de femme penchée sur leur lit ; et le lendemain il avait reconnu cette figure dans un portrait qu’il n’avait pas remarqué jusque-là, celui de la mère des deux jeunes enfants. Il me raconta ensuite que ses parents, quelques jours avant leur mort, croyaient entendre constamment le bruit de l’eau ; que son oncle, pendant la bataille de Borodino, fut sauvé de la mort par une circonstance insignifiante : il s’était baissé pour ramasser un simple petit caillou grisâtre, et un biscaïen qui passait en ce moment au-dessus de sa tête lui coupa son long plumet noir. Téglew me promit même de me faire voir ce caillou qui avait sauvé son oncle, et qui était monté en médaillon. Il me parla ensuite de la mission de tout homme, et de la sienne en particulier ; il ajouta qu’il y avait cru jusqu’alors, et que si jamais des doutes lui venaient à ce sujet, il saurait y échapper en se débarrassant de la vie, car alors la vie n’aurait plus pour lui aucun intérêt. « Vous supposez peut-être, dit-il en me regardant du coin de l’œil, que je n’en aurai pas le courage ? Vous ne me connaissez pas… j’ai une volonté de fer !

— Belle expression ! » dis-je en moi-même.

Téglew devint rêveur, respira profondément, et, mettant sa pipe de côté, me déclara que ce jour,